D'où vient cette pulsion de créer?

 

Entretien lors de l'exposition "Noriko Tawara en Cevennes" en 2015 

 

 

Elisabeth Gérony, commissaire : Vous êtes artiste-plasticienne indépendante d’expression abstraite, originaire du Japon, pays où vous avez accompli vos études secondaires et supérieures et fait vos débuts, avant de prendre pied en France. En 50 ans, dans différents pays d’Europe, au Japon et aux Etats-Unis, vous avez contribué à une multitude d’activités artistiques collectives et réalisé en moyenne une exposition personnelle par an.


Je voudrais que vous nous disiez quelques mots sur l'origine de cette pulsion qui  vous amène au travail. Y-a-t-il un élément personnel qui a été le déclencheur et qui serait resté longtemps enfoui ?

 

Noriko Tawara : Ce qui me « pulse » est simplement cette satisfaction de voir de bons résultats. Et ma volonté d’y parvenir. Mon travail n’est pas motivé par quelque mobile enfoui ou refoulé. Pour y accéder, nul besoin de chercher un message caché. Mes images s’offrent à votre regard et à votre cœur. J’aime la simplicité.

  

J'ai grandi dans un Japon en train de se relever petit à petit après la Seconde Guerre mondiale, dans une pétillante ville portuaire adossée à la montagne, à mille km de la capitale. Le peuple de marins, artisans, commerçants, intellectuels ... y étaient à la fois attaché à nos traditions japonaises et ouvert aux nouveautés et arts de toute sorte. Dans ma famille, tous jouaient de la musique. Ma mère était une calligraphe douée, mais j'étais seule à pratiquer la peinture à l’huile dès le lycée. Une classe préparatoire m'a ensuite permis d'intégrer les Beaux-Arts de Tokyo.

 

Avant le diplôme déjà, j’ai commencé à me désintéresser des modèles. Par la suite, j'ai connu les plaisirs d'enseignante, mais cela accapara toutes mes forces. C’est alors que la France lointaine m'a offert une chance. Grâce à une bourse gouvernementale, j'ai pu embarquer sur un paquebot des Messageries Maritimes, arriver au bout d'un mois en mer à Marseille, et découvrir l’Europe, ses paysages et lumières, ses villes et musées.

 

Ma palette s’est éclaircie. J’ai abandonné définitivement la figuration, ne travaillant que couleurs, formes et - spécificité japonaise - le vide. J’ai compris que cela me suffisait.

 

Cette limitation formelle ne cesse de m’offrir une inépuisable liberté de création et de renouvellement. J’utilise de l’huile sur toile, sur papier, de l’acrylique, encre, pastel, mine de graphite, crayon de couleur. Je crée toujours des originaux, peu de gravures et séries. Autre matériau plus rare aux qualités insoupçonnées: le papier végétal traditionnel du Japon, dont il existe une grande variété, je l’exploite avec prédilection dans mes compositions.

 

La pulsion qui me fait travailler est l'envie de créer des oeuvres fraîches, équilibrées, contrastant avec le quotidien et qui font respirer.

 

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Question de Monsieur B., visiteur de ce site:

Comment en êtes-vous venue à utiliser le format du tondo dans votre travail abstrait?

 

N.T.: J'aime explorer parfois des formes peu courantes, par exemple en participant à un projet où il s'agissait d'accrocher autour d'une piscine des peintures comme des hublots imaginaires d'un navire.

Le format circulaire tend, nous le savons, à contraindre le regard. En plus, ça peut tourner, rouler, basculer.
Ma réaction personnelle est alors d'immobiliser le disque et d'y inscrire une composition de mon cru, structurée et orientée, tout en recherchant la symbiose avec cette bordure courbée.